Le Festin et le Gaspillage

Le gachis alimentaire dans nos sociétés d'abondance.

Camodifdoc/Sudouest/03012011

1) Le Festin et le Gaspillage

La débauche alimentaire : Un héritage?

 

Nous sommes héritiers de la débauche alimentaire par laquelle les hommes conjuraient la pénurie.

Dans nos sociétés d'abondance, et qui le restent pour la majorité des gens, la vieille peur de manquer n'a pas disparu.

Le comportement consistant à marquer sa réussite en mangeant beaucoup se cantonne aux classes populaires, du moins celles qui, jusqu'à la crise, avaient encore l'impression d'augmenter leur pouvoir d'achat.

Mais les inégalités sont très fortes.

Et chez les plus favorisés, cela fait déjà très longtemps que la surconsommation alimentaire ne marque plus la distinction sociale. 

 

La distinction sociale

 

Dans les années 1990, la distinction sociale passait par l'accès aux produits exotiques et plus récemment par les produits Bio.
Mais quand ceux-ci se sont démocratisés au moment des fêtes, souvent sous forme d'ersatz ou de produits d'enseigne, la distinction a migré vers l'accès à des produits paysans, des produits rares qui passent par des fillières où l'on est en complicité avec le producteur.

La valeur clé : la proximité

Aller au marché gourmand, chez le producteur, l'éleveur, le viticulteur ou le caviste indépendant, pianoter sur un site internet de vente en ligne, fréquenter les AMAP (Associations pour le maintien d'une agriculture paysanne) : autant de signes de distinction de la proximité.
Le produit bio, c'est bien, celui dont on connaît la provenance, de préférence à moins de 50 km de chez soi, c'est mieux et signe la nouvelle valeur ajoutée.

Est-ce le cas de la majorité des consommateurs?

Non, ce n'est pas le cas. De plus, une autre tendance s'est développée : l'implication du mangeur dans la fabrication du mets.
On achète les ingrédients de base et on se remet à faire la cuisine.
Cette pratique, encouragée par la politique sociale et les acteurs de santé, est valorisée et ne se borne pas au "Bobo" qui fait lui-même sa soupe de potimarron.
Paradoxalement, les plus défavorisés restent à l'écart de ce retour au savoir-faire culinaire : chez eux, la transmission a souvent échoué; ils sont les plus dépendants des produits tous faits et "marketés".
Mais dans les catégories moyennes ou populaires inquiètes pour le futur, le virage est net.

Le gaspillage alimentaire : un niveau scandaleux!

Le phénomène atteint un niveau scandaleux car il inclut le secteur de la restauration collective - entreprises, hôpitaux, établissements scolaires - où trois facteurs concourent au gaspillage :
- les normes sanitaires qui commandent l'élimination des restes non consommés,
- l'absence de filières de recyclage,
- une offre inadaptée : dans certains collèges, 60% de la nourriture finirait à la poubelle!

Explications données à ce gaspillage

Le mangeur est protégé au plan sanitaire, mais on lui sert des mets insipides en utilisant des grammages trop élevés qui ne correspondent pas à l'appétit moyen.
Résultat : des cantines servent des plats dont les responsables savent qu'uns grande part ne sera pas mangée.
Et il n'y a aucune logique pour l'utilisation des restes.
Ce qui vaut pour le collectif s'applique aussi pour les individus imprégnés par l'euphorie des "trente glorieuses".
Comme on n'apprend plus à faire la cuisine, on ne sait plus récupérer les restes.
L'examen des dates de péremption laisse à désirer.
Dans la grande distribution, le gaspillage s'explique aussi par une logique "américaine" qui propose d'énormes grammages pour les produits à faible valeur ajoutée ou encore par une information trop faible diffusée au consommateur.

L'ignorance du public doit-elle être invoquée?

Même si cela ne semble pas être le cas, il reste des obstacles à franchir.
Ainsi, chez les plus de 25 ans, la chasse au gaspillage se heurte à ce précepte "il faut se surveiller".
Une fois la pulsion d'achat satisfaite, on met à distance un aliment souvent riche et calorique dont la consommation pourrait nuire à notre santé ou à notre silhouette.
Au plan collectif, une action serait à mener au niveau des grammages et de la qualité.

Le gaspillage n'atteint-il pas un degré d'absurdité insupportable?

Les moins de 25 ans sont très sensibles au gaspillage, à l'écologie, à l'empreinte carbone,à la nécessité de relocaliser les productions.
Mais ce ressenti dépend des catégories sociales.
Chez les plus défavorisés, le prix reste l'élément clé. Ce dont jouent les profiteurs de l'économie mondiale : ils vendent des produits qui ne posent aucun problème d'hygiène mais qui ne sont pas forcément sans effet sur la santé et qui sont catastrophiques au plan du goût puisqu'ils n'ont souvent rien à voir avec ce qu'ils prétendent être.

Conclusion :

Il n'apparaît plus viable de réduire l'aliment  à son aspect nutitionnel en oubliant ses dimensions sociales.
Par nature, nous touchons au corps, à la santé, au goût, à la production, au plaisir, à l'économie, à la transmission des savoir-faire.
A l'image de Rabelais qui était à la fois médecin et écrivain, le moment est venu de refédérer les approches pluridisciplinaires quant à l'imbrication des dimensions gastronomiques et de santé pour définir des politiques plus efficaces.